Le Roman des Tuis
Le dernier roman de Brecht est un grand casse-tête « chimois » (c’est en Chime qu’il se déroule), resté en chantier pendant plus de vingt ans. Au départ, la trouvaille d’un nom : le Tui, qui désigne « l’intellectuel de ce temps des marchés et marchandises, le loueur de l’intellect ». Ensuite, parmi les esquisses et les parties rédigées, c’est au lecteur de trouver non seulement la morale, mais aussi la fable : une satire des idéologies à la mode entre les deux guerres, des mandarins bourgeois et de la République de Weimar qui fut selon Brecht conçue, dirigée et abattue par les intellectuels – d’Ebert à Hitler, un Tui chassant l’autre.
Ce roman contient aussi, « à distance », une autre histoire : la naissance d’une nouvelle caste de Tuis, marchands de formules à la solde des partis totalitaires, que Brecht ne cesse d’imiter et d’éviter à la fois, mêlant le prêche et l’esquive.
Mais Le Roman des Tuis est également une fable sur le pouvoir des fables, et sur l’écriture même de Brecht : une avancée en terre inconnue, brûlée, au-delà des repères établis du politique et du social, dans un étrange no man’s land qui est le paysage-héritage de ce temps, de la jungle des villes à la terre dévastée par la guerre.